napomo
ne serait pas napomo
sans au moins une allusion
à richard martineau
qui tombe dans les marches
eh oui le pauvre il a perdu pied
non je n'ai vu personne le pousser
pourquoi vous me posez la question
évidemment qu'il avait des ennemi·es
c'était en quelque sorte
sa marque de commerce
si l'on peut dire
mais ça ne veut rien dire
enfin je veux dire
ça veut dire quelque chose
mais ça ne veut pas dire
qu'il a été poussé
ça c'est le délire de persécution
auquel il nous a habitué·es
mais en réalité
un accident
est si vite arrivé
l'erreur est humaine
vous le savez
(et est inhumaine aussi
ou en tous cas
l'erreur est aussi
ce qu'est richard martineau
et je dis ça sans malice
juste pour la précision)
pauvre richard
tout brisé tout cabossé
une cheville par-ci
un rein par-là
il baigne dans son sang
tout en bas de l'escalier
la foule habituelle
s'est rassemblée
autour de richard
tout démantibulé
un jeune homme trans
aux yeux doux comme son sourire
témoin de toute la scène
s'est précipité pour dire aux gens
de lui laisser un peu de place
et demander aux personnes concernées
de bien vouloir
arrêter de cracher
dans la soupe
pauvre richard
je pense qu'il a
perdu connaissance
peut-être au moment
de la fracture ouverte
mais c'est un peu difficile
à déterminer très précisément
avec son regard toujours aussi vide
une vieille dame est revenue
avec le défibrillateur
un sentiment d'urgence
et des lumières dans les yeux
c'est devenu assez clair
qu'elle ne savait pas s'en servir
à la onzième décharge
en moins d'une minute
dans le cou de richard
les premiers répondants enfin arrivés
ne sachant pas trop quoi faire
ont sorti leurs petites pelles
et ont mis tous les morceaux
dans l'ambulance
ont fait un pit stop
au tim hortons
commande à l'auto
(à l'ambulance)
oui en trio
avec le grand café
noir
oui deux fois
un crème boston
pis une roussette
crème boston chocolat
merci bonne journée
à vous aussi
puis ont déposé
les morceaux de richard
sur une civière à l'urgence
pauvre pauvre richard
heureusement il a survécu
(un des médecins blasés
avait accidentellement signé
le formulaire pour l'euthanasie
mais une des infirmières
habituées de tout contre-vérifier
s'est dit que ce serait trop triste
de faire ça à quelqu'un
juste parce qu'il a le malheur
d'avoir le même nom
que richard martineau
elle déclarera ultérieurement :
« hostie! avoir su! »)
heureusement
bref
il a survécu
pendant la conférence de presse
une chirurgienne
fait des clins d’œil
et dit en ricanant
les morceaux ont pu être recollés
à peu près aux bons endroits
un pied dans la bouche
un doigt dans le nez
et l'anus à la place de l’œil gauche
mais le plus inquiétant
c'était le choc à la tête
en déboulant les marches
richard s'était
solidement
cassé la gueule
traumatisme crânien grave
épisodes amnésiques
commotion
etc.
après sa convalescence
il semblait être
une nouvelle personne
personne ne comprenait
vraiment ce qui s'était passé
il s'est récemment remis
à publier ses chroniques
dans le journal
mais il écrit maintenant
à propos de films pour enfants
de ses poèmes favoris
de résistances décoloniales
et de sa nouvelle passion
pour les champignons
il a commencé à partager
un truc par jour
pour aimer la vie
(et pas seulement
de la psycho-pop cheap
mais du stock sensible
pas pire pour de vrai)
partout où richard apparaît
il sourit
il sourit simplement
certaines voix plus rancunières
disent qu'il sourit bêtement
« le vieux niaiseux! »
mais c'est de la béatitude
pour la première fois
depuis longtemps
richard semble
bienveillant
heureux
la surprise est générale
une manif de soir
avant-hier à montréal
a réuni un bon
deux-trois mille personnes
(même richard y était, tout souriant!)
pour revendiquer
qu'éric duhaime
tombe à son tour
du haut d'un escalier
« au cas où »
des neuropsychiatres
des spécialistes
de partout sur la planète
ont été invité·es
à évaluer richard
à essayer de comprendre
les subtilités du cerveau
apparemment
c'est la délégation cubaine
qui aurait lancé l'hypothèse :
une thérapie intensive
pourrait permettre
peut-être
de retrouver
le richard d'avant
la décision fut prise
assez rapidement
de ne pas prendre de chance
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